Totalement inhumaine
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Perte de conscience
par André Meury


Jean-Michel Truong décrit " l'ère post-humaine ", quand les réseaux intelligents auront pris le pas sur l'homme...

Est-ce une fable, un pamphlet ou bien une prophétie ? Un peu tout cela sans doute. Une réflexion sans complaisance, en tout cas, sur l'incapacité désormais flagrante de l'humanité à gérer le couple "esprit-corps humain" que l'on croyait indestructible et qui, pourtant, pourrait bien être remplacé, à plus ou moins (très) long terme, par une autre forme de vie "totalement inhumaine" destinée à prendre la suite de l'homme comme "habitacle de la conscience".

Cette nouvelle forme de vie, née de l'interconnexion massive, via le net, de mémoires et de processeurs toujours plus nombreux, Jean-Michel Truong la nomme "le Successeur". Et il ne se contente pas de lui trouver un nom; il décrit, par le menu, ce que pourraient être les différentes étapes du passage à l'ère posthumaine, la cohabitation provisoire de l'homme et du Successeur, la victoire rendue inéluctable de celui-ci, quand la mondialisation aura écarté l'homme de sa route, "en libérant la bête rationnelle de sa gangue d'humanité". Ce n'est pas la première fois que Truong, spécialiste de l'intelligence artificielle, évoque ce passage de témoin entre l'homme et les réseaux intelligents. On se souvient notamment de son roman le Successeur de pierre (Denoël, 1999, repris en Pocket) qui lui avait valu le Grand Prix de l'imaginaire 2000. Mais il ne s'agit plus, ici, de roman. Jean-Michel Truong appuie sa réflexion sur les travaux de biologistes comme Richard Dawkins, de chimistes comme A. G. Cairns-Smith, d'astrophysiciens comme Trinh Xuan Thuan, de mathématiciens comme Alan Turing ou de philosophes comme Thomas Kuhn. Chez eux, il trouve le modèle et les concepts nécessaires à la "biologisation des logiciels" qu'il se contente de pousser à l'extrême. Il est, ici, question d'e-gènes qui connaissent la même compétition pour une place dans un logiciel que les allèles pour un locus sur un chromosome. Il est question de mèmes, selon le terme utilisé par Dawkins, pour désigner des unités élémentaires d'informations susceptibles de se transmettre d'un cerveau à un autre (humain ou non). Jean-Michel Truong y ajoute ses propres concepts, celui d'"Imbus", par exemple, pour désigner les humains "imprégnés jusqu'à la moelle des intérêts du Successeur". L'homme a déjà abandonné, en grande partie, l'intelligence au Successeur. Le reste, notamment la conscience, suivra inéluctablement, annonce Truong. Nous voilà prévenus.

ANDRÉ MEURY

© Politis, n° 665, 6 septembre 2001, p. 28

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