Le Successeur de pierre
Critique des médias

 

Actualité de l'auteur

Interviews et portraits

Dialogue avec l'auteur

Facebook

 

 

Le Successeur de pierre
par Karine Dupré

Année 2032 : l'humanité se divise en trois grandes catégories : les Larves croupissent dans des cocons de type conteneurs, mais avec tout le confort multimédia ; les Imbus profitent du système qu'ils ont mis en place pour vivre entre riches, sans craindre les représailles de la populace enfin canalisée ; les No-Plugs, les seuls à avoir résisté au "Grand Enfermement" font ce qu'ils peuvent pour survivre à l'extérieur. Si un tel décor évoque bien la SF, (encore que l'auteur parle plutôt de roman d'extrapolation), ce livre est beaucoup plus qu'une simple histoire futuriste. C'est une fresque techno-mystique qui laisse la part belle à la réflexion métaphysique autant que politique. La religion tient en définitive la place centrale, avec une relecture des Ecritures à ne pas mettre entre toutes les mains ...

"L'homme n'est pas le Temple du Verbe pour l'éternité". S'il y a un thème central, pour ne pas dire un leitmotiv dans ce livre, c'est bien celui que résume cette sentence. Sans dévoiler l'histoire et le suspens, car il y en a, on peut dire que c'est la pierre angulaire du récit. Cette idée de l'obsolescence du corps humain et de sa disparition au profit de sa seule intelligence d'abord, et des machines par la suite, est plus que jamais à l'ordre du jour (cf The age of the spiritual machines de Ray Kurzweil). A la suite du Golem, des automates, de Frankenstein, les agents intelligents promis par l'IA engendrent en effet la même interrogation séculaire : jusqu'où maîtrisons nous nos créations ? Or, sur cette question de l'autonomie de la technique semble aujourd'hui se dessiner une sorte de consensus théorique (cf Visions de Michio Kaku) : scientifiques, futurologues, écrivains, publicitaires, cinéastes, tous nous servent le même scénario : non seulement nous sommes visiblement incapables de contenir les effets de nos "progrès" technologiques, mais nous semblons ravis d'accélérer le processus qui amènera à notre disparition.

Le mérite de la fiction, c'est qu'elle permet d'aller jusqu'au bout du raisonnement et de tenter une explication. En l'occurrence, la prolifération des automates est censée être la preuve de l'action souterraine d'une entité cherchant par tous les moyens à assurer sa survie. Ainsi, nous ne serions que le jouet d'une puissance supérieure qui vampirise notre intelligence avant d'immigrer ailleurs et de nous abandonner à notre triste sort. Cette Créature prend dans le roman une place prépondérante, sa description entraînant une relecture de la Bible très particulière, servie par un pape hérétique portant jeans et baskets, et accroc au Web !

Ce roman au style alerte et non dépourvu d'humour offre malgré tout une vision plutôt pessimiste du siècle à venir. Il dénonce également le libéralisme exacerbé qui caractérise le monde développé (qui justifie dans le livre le Grand Enfermement). Or Jean-Michel Truong est fondateur de la première société européenne d'Intelligence Artificielle et expert-conseil auprès des entreprises de hautes technologies en Chine. Il oeuvre donc au premier chef à l'avènement de cette IA censée détrôner l'homme. Doit-on alors voir son oeuvre comme une sorte d'exorcisme? L'auteur est-il au contraire, comme l'un de ces héros, du côté de la Créature; veut-il en favoriser la tâche ? Le mystère reste entier, et le paradoxe troublant.

Depuis que Copernic, Galilée et d'autres nous ont appris la modestie, nous savons que l'homme n'est ni le centre du monde ni le maître de la création. Doit-on pour autant aller maintenant jusqu'à lui dénier sa légitimité à habiter cette planète ?

Tant que la question reste du domaine de la prospective, elle prête sûrement trop à sourire pour que l'on s'y attarde...

Karine Dupré

© Canalplus.fr, 2000

retour à la page Critiques Médias