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Chapitre 1

 

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TOP SECRET - QR5931W
DE: Chuck
A : Big Joe - EYES ONLY
OBJET: Plan Fleshware. Exfiltration de Bill

     Il nous faut d'urgence prendre une décision au sujet de ton agent.
     Les psy du Département pensent qu'il perd les pédales et devient dangereux. Dieu sait que je hais ces types, mais pour une fois, j'estime qu'ils n'ont pas tort.
     Par ailleurs, Fats s'oppose absolument à ta demande. Il affirme qu'on ne peut pas prendre pareil risque à ce stade de l'opération et je suis assez enclin à le croire.
     J'entendrai une dernière fois tes arguments et ceux de Fats demain à 21h00 dans mon bureau. Je me déterminerai aussitôt après. Ma décision devra pouvoir être exécutée sous trois heures. Prends tes dispositions en conséquence.
     En attendant, fais-moi tenir le dossier complet de l'opération.
     Et, de grâce, Big Joe, d'ici à cette réunion, épargne-nous tes sermons: réserve tes dons de manipulateur à nos adversaire


TOP SECRET - YW4328W
DE: Big Joe
A : Chuck - EYES ONLY
OBJET: Plan Fleshware.

     Suite à ta demande, tu trouveras ci-joint une partie de l'unique exemplaire du dossier Fleshware.
     J'ai estimé que tu connaissais suffisamment le début de l'opération. Aussi ne t'ai-je communiqué que les pièces concernant sa dernière phase. De toutes façons, elles seules sont vraiment utiles pour comprendre ce dont il est question. Je sais, Chuck, tu m'as demandé le dossier complet, mais comprends que je doive appliquer les procédures de sécurité.
     En tête de chaque document figurent des mentions qui te permettront de situer le contexte dans lequel il a été produit: origine, date, lieu, objectifs visés.
     Lorsque cela m'a paru de nature à faciliter la compréhension, je me suis également permis de brefs commentaires. Afin de ne pas influencer ton jugement, je les ai limités au minimum nécessaire.
     Mentions et commentaires apparaissent dans le dossier en caractères italiques de manière à se distinguer des documents originaux.
     Ceux-ci sont présentés dans l'ordre chronologique, seul susceptible à mes yeux de rendre compte de façon objective du déroulement de cette phase de l'opération.
     Je suis certain que tu ne manqueras pas de tirer de ce dossier des conclusions identiques aux miennes. J'attire ton attention sur les conséquences désastreuses que pourrait comporter, pour le moral du personnel de l'Agence, toute décision différente de celle que je préconise. A fortiori, celle que suggère le Département est totalement inadmissible. Bill est ici un agent extrêmement populaire, et, que je sache, il n'a pas démérité. Si l'opération est aujourd'hui un succès, c'est à lui que nous le devons.
     J'ai pris bonne note de la réunion prévue avec Fats demain soir.


PIECE NUMERO 01

ORIGINE : Chrono du service

TOP SECRET - AC4328W
DE: Elvis
A : Big Joe - EYES ONLY
OBJET: Plan Fleshware.

     Notre station de Fribourg a capté cette nuit, à 3h20 GMT, le signal de demande urgente de consultation convenu avec Bill.
     Sauf instruction contraire de votre part, je me rendrai dès demain au rendez-vous prévu.

 

PIECE NUMERO 02

ORIGINE : Chrono du service


Extrait des Dernières Nouvelles d'Alsace, 25/3/37
Mutinerie à la maison d'arrêt de Strasbourg

     Des troubles graves ont éclaté hier en fin d'après-midi à la maison d'arrêt de Strasbourg: à l'issue de leur promenade réglementaire, les détenus ont, sans raison apparente, refusé de regagner leurs cellules. En dépit des appels au calme du directeur et de l'aumônier de l'établissement, les mutins ont entrepris de saccager les ateliers, tandis que d'autres prenaient position sur les toits. Devant la montée de la violence, le directeur de la prison prenait alors la décision de retirer le personnel de surveillance — évitant ainsi une éventuelle prise d'otages —, et de faire appel aux CRS.
     Actuellement, le périmètre de la prison est totalement bouclé par les forces de l'ordre, et des pourparlers sont en cours entre le procureur de la République et les mutins, en vue d'obtenir leur reddition sans effusion de sang. D'ores et déjà, le préfet a fait savoir qu'il ne céderait à aucune des revendications des émeutiers. Les autorités observent d'ailleurs à leur sujet un silence absolu, "pour — disent-elles — que les détenus ne croient pas qu'il suffit de tout casser pour se faire entendre".
     D'après les témoignages que nous avons pu recueillir auprès des familles des prisonniers et de leurs avocats, la détérioration constante des conditions de détention serait à l'origine de ces troubles. La maison d'arrêt, construite en 1987, était à l'origine prévue pour 220 détenus. Elle en abrite actuellement 740.
     Selon le directeur de la maison d'arrêt, " être incarcéré n'a jamais été une position très confortable, et ne doit pas le devenir: une prison doit demeurer un endroit où l'on n'a pas envie de séjourner. Cela dit, la situation ici n'est pas plus préoccupante qu'ailleurs. J'oserai même affirmer qu'on y est mieux que dans bien des établissements."


PIECE NUMERO 03

ORIGINE : Chrono du service

TOP SECRET - AG8711W
DE: Elvis
A : Big Joe - EYES ONLY
OBJET: Plan Fleshware.

     1. Ai rencontré Bill selon la procédure d'urgence prévue. Il s'inquiète des développements possibles de l'émeute à la maison d'arrêt de Strasbourg. Il rappelle que c'est dans cet établissement que ses anciens compagnons sont incarcérés.
     2. Bill assure ne rien savoir des causes de ces événements, mais dit être convaincu qu'ils sont en rapport avec l'opération en cours.
     3. Bill ayant toujours fait preuve d'une intuition remarquable, son avis doit être pris en considération. J'ai prescrit à notre station de Fribourg une enquête approfondie sur cette affaire.
     4. La situation personnelle de Bill ne semble pas être menacée. Il reste donc à son poste jusqu'à nouvel ordre. Nous sommes convenus de nouvelles procédures de consultation d'urgence.


PIECE NUMERO 04

ORIGINE : Chrono du service

Extrait des Dernières Nouvelles d'Alsace, 27/3/37
L'incendie de la maison d'arrêt de Strasbourg: ouverture d'une enquête judiciaire

     L'incendie, allumé par les mutins dans la nuit de samedi à dimanche à la maison d'arrêt de Strasbourg, est à présent complètement maîtrisé.
     Pour en venir à bout, le colonel Schenck, qui commandait en personne le dispositif de secours, a dû mobiliser les effectifs de quatre casernes de pompiers ainsi que d'importants moyens matériels, dont deux hélicoptères.
     Le bilan définitif fait apparaître 11 morts et 47 blessés graves parmi les détenus tandis que 19 blessés sont à déplorer dans les rangs des sauveteurs. Par ailleurs, un surveillant de l'établissement a péri dans l'incendie.
     Les bâtiments de la maison d'arrêt ayant été détruits dans leur quasi totalité, l'administration pénitentiaire s'emploie activement à répartir les survivants dans les centres de détention de la région. En attendant, le stade du Tivoli, où l'Armée a dressé des tentes, fait office de prison de transit.
     Le préfet Jean Hardouin s'est rendu sur les lieux tôt ce matin, accompagné du maire de Strasbourg et de M. Malleus, procureur de la République. Ce dernier a annoncé l'ouverture d'une information pour déterminer les responsabilités. L'enquête sera dirigée par monsieur Norbert Rettinger, premier juge d'instruction à Strasbourg.


PIECE NUMERO 05

ORIGINE : Chrono du service

TOP SECRET - AD1781W
DE: Elvis
A : Big Joe - EYES ONLY
OBJET: Plan Fleshware. Enquête sur l'incendie de la maison d'arrêt de S.

     1. Les compagnons de Bill sont tous trois morts dans l'incendie.
     2. Bill note que le juge Rettinger, désigné pour enquêter sur ces événements, est celui même qui a instruit le procès des trois victimes.
     3. Ce magistrat est réputé pour sa sagacité, sa pugnacité et son indépendance.
     4. Bill estime que, dans ces conditions, un risque réel pèse désormais sur l'opération.
     5. En conséquence, je vous demande l'autorisation de faire préparer son exfiltration.
     6. En attendant, j'ai mis toute l'équipe en état d'alerte numéro deux. Cependant, pour ne pas éveiller de soupçons, Bill restera à son poste jusqu'au dernier moment.


PIECE NUMERO 06

ORIGINE : Chrono du service

TOP SECRET - AK2983W
DE: Big Joe
A : Elvis - EYES ONLY
OBJET: Plan Fleshware.

     1. J'approuve la mise en alerte numéro deux de l'équipe Fleshware. Aucun risque — je répète: aucun — ne doit être pris dans cette phase du plan. Pas de contact observable entre l'équipe et vous jusqu'à nouvel ordre. Silence radio absolu. Signaux et boîtes aux lettres mortes uniquement.
     2. Le magistrat chargé de l'instruction de l'incendie doit être considéré comme source de risque de première catégorie. Vous le soumettrez à une surveillance maximale. Je vous envoie une équipe spéciale pour mettre en place le dispositif approprié.
     3. Vous me rendrez compte en temps réel des progrès des investigations du magistrat sur l'incendie de la maison d'arrêt.
     4. Bill peut encore rendre des services sur place. Son exfiltration ne me semble pour l'instant ni opportune, ni d'ailleurs très prudente. Vous lui donnerez donc l'ordre de ne pas bouger.

 

PIECE NUMERO 07

ORIGINE : Chrono du service

TOP SECRET - AC4329W
DE: Elvis
A : Big Joe - EYES ONLY
OBJET: Plan Fleshware.

     1. Surveillance du magistrat.
     L'équipe spéciale que vous m'avez envoyée a fait du bon boulot. Toutes les communications du magistrat sont dès à présent interceptées à partir de notre station d'écoute de Fribourg. La surveillance sera largement facilitée, dans la mesure où le juge semble utiliser systématiquement les possibilités offertes par l'ordinateur du ministère de la Justice, notamment son système de messagerie, par lequel transite tout son courrier professionnel.

     2. Résumé de la notice biographique du juge Norbert Rettinger.
     Né en 1998 (39 ans), à Strasbourg, Confédération européenne (France).
     Son père, Victor, magistrat de haute stature intellectuelle et morale, auteur de nombreux ouvrages de référence, a été notamment président du Tribunal de Paris, puis directeur des affaires criminelles et des grâces à la Chancellerie, sous le ministère Vergès, et enfin, à la chute de ce dernier, président de la Cour européenne de justice. A ce titre, il a été amené, en dépit de pressions répétées, à condamner lourdement la Confédération dans un contentieux qui l'opposait au Bureau international du travail. Pour cette raison, il s'est vu refuser la présidence de la Cour de cassation qui, de l'avis unanime, devait lui revenir, et ne put être élu à l'Académie française, où il comptait pourtant de nombreux partisans.
     Le juge Norbert Rettinger a étudié le droit à l'université de Paris (Doctorat de droit pénal, complété par un DESS de sciences économiques). Sorti major de l'Ecole nationale de la magistrature, il opte pour le parquet. Il est nommé substitut du procureur de la République à Paris, plus spécialement en charge des dossiers économiques et financiers, pour lesquels il marque un intérêt prononcé et une réelle compétence.
     Il épouse Françoise Veillard, fille unique du ministre des finances de l'époque. Il a un fils, Laurent (16 ans).
     Sa carrière, brillamment amorcée, trébucha brutalement il y a sept ans, sur l'affaire dite du Cartel, où les principales banques d'Europe furent accusées de financer clandestinement l'effort de guerre du Bloc islamique contre la Confédération européenne. Chargé de conduire les poursuites, le procureur Rettinger déploya une fermeté et une opiniâtreté qui ne furent pas pour rien dans l'étendue que prit le scandale, ni dans la sévérité des peines qui frappèrent les dirigeants du Cartel. Revenus aux affaires l'année suivante, à la faveur de l'accession au pouvoir du parti libéral, ces derniers obtinrent sans difficulté du nouveau Garde des Sceaux qu'il se débarrasse d'un magistrat aussi peu conciliant. Invité à quitter le parquet, où il était désormais indésirable, Norbert Rettinger se replia sur un poste de juge d'instruction.
     Assigné à Strasbourg, où son père avait jadis présidé le Tribunal de grande instance, il s'y imposa peu à peu par son sérieux et son professionnalisme. Il est, depuis quelques mois, premier juge d'instruction.
     Il vient de divorcer, pour des causes que nous n'avons pas encore réussi à élucider.
     Potentiel d'exploitation: d'une intégrité absolue, ce magistrat a démontré à maintes reprises qu'il n'était accessible à aucune sorte de pression. Faute de pouvoir le manipuler, nous devrons probablement envisager sa suppression physique.
     En conséquence, je demande que les conseillers juridiques de l'Agence examinent dans quelle mesure une telle action pourrait être considérée comme légale. Dans le cas, très probable, où elle ne pourrait l'être, il faudrait obtenir de Chuck qu'il promulgue le décret spécial prévu à l'article 453, alinéa 7, de la Loi sur la sécurité nationale (autorisation d'homicides en temps de paix et en territoire étranger). En raison de l'urgence, je suggère que nos juristes en préparent sans tarder un projet.

 

PIECE NUMERO 08

ORIGINE : Chrono du service

Extrait des Dernières Nouvelles d'Alsace, 28/3/37
Il ne voulait pas être dérangé: c'était pour se suicider

     Un inconnu de sexe masculin a été découvert mort hier après-midi, dans la chambre qu'il occupait depuis l'avant-veille dans un hôtel de passe du quartier de la gare. C'est la femme de ménage, alertée par l'odeur, qui a fait la macabre découverte. L'homme, un vieillard d'origine européenne d'apparence misérable, mesurait environ 1,75 m. Il était vêtu d'un complet marron, d'un manteau de laine beige et portait des bottines de cuir noir, le tout passablement usagé. Il tenait un revolver "357 Magnum". D'après les premières constatations, sa mort remonterait à deux jours déjà.
     "Il paraissait fatigué et avait demandé à ne pas être dérangé, nous a déclaré la patronne de l'hôtel. Comme il avait payé trois nuits d'avance, je ne me suis pas inquiétée."
     En attendant les résultats de l'autopsie et de l'expertise balistique, les enquêteurs avancent l'hypothèse d'un geste de désespoir.

 

PIECE NUMERO 09

ORIGINE : Dossiers du juge Rettinger

COUR D'APPEL DE COLMAR
Tribunal de grande instance de Strasbourg
Parquet du Procureur de la République

REQUISITOIRE INTRODUCTIF

     Le Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Strasbourg

     Vu les pièces jointes :
     1) PV du SRPJ de Strasbourg, en date du 27 mars 37, faisant état de la découverte du cadavre d'un inconnu de sexe masculin
     2) Rapport d'autopsie du docteur C. Tcherzine, médecin-légiste
     3) Compte-rendu d'expertise balistique du laboratoire central de la police judiciaire.

     Attendu qu'il en résulte des présomptions graves d'homicide

     Vu l'article 80 du Code de procédure pénale,

     Requiert qu'il plaise à Monsieur Norbert Rettinger, premier Juge d'instruction, informer par toutes voies de droit,
     Notamment rechercher l'identité de la victime, établir les causes et les circonstances de la mort, le cas échéant en découvrir l'auteur.

     Fait en notre Parquet, le 28 mars 37

     TEXIER,
     substitut du Procureur de la République

 

PIECE NUMERO 10

ORIGINE : Courrier du juge Rettinger

Le Colonel P. Schenck
Sapeurs-Pompiers de Strasbourg

à
Mr Norbert Rettinger
Premier juge d'instruction
Tribunal de Strasbourg

Strasbourg, 2 avril 37

Objet : Incendie de la MA de Strasbourg

Monsieur le juge,

     Sans attendre les conclusions détaillées de l'expertise technique conduite, à votre requête, par mes services, en vue d'établir les causes du sinistre cité en référence, je crois devoir, dans l'intérêt de l'enquête, vous informer d'urgence des faits suivants :
     1. Il ne fait aucun doute que cet incendie ait une origine volontaire. Six foyers différents ont été allumés simultanément.
     2. Les combustibles utilisés ont été, d'une part, des matériaux – tels que planches, copeaux, chiffons, colles et solvants –, entreposés dans les ateliers de la prison, d'autre part des éléments de literie, en mousse synthétique particulièrement inflammable et dégageant de surcroît, en se consumant, de grandes quantités de vapeurs toxiques. A cet égard, je dois rappeler que mes services, lors de la dernière visite de sécurité conduite dans cet établissement, avaient explicitement signalé le danger potentiel que représentaient ces matériaux et en avaient préconisé le remplacement. Il semble qu'une fois de plus, l'administration pénitentiaire n'ait pas cru devoir suivre nos avis.
     3. La vitesse avec laquelle le feu s'est propagé ne s'explique pas seulement par la vétusté des locaux, ni par le nombre de foyers allumés simultanément, ni encore par le type de combustible utilisé. Il est certain qu'elle a été accélérée par un choix judicieux des emplacements des foyers (près des cages d'escaliers et des gaines techniques, de façon à favoriser le tirage). Cette observation m'amène à écarter l'explication simpliste, avancée par les responsables de l'établissement, d'un incendie provoqué de façon spontanée par des émeutiers, au profit de l'hypothèse d'un plan mûrement prémédité et d'une action exécutée de sang-froid. J'ai le regret de devoir, ici encore, mettre en cause la direction de la maison d'arrêt. Il semble en effet invraisemblable que pareille entreprise – impliquant nécessairement un grand nombre de protagonistes – ait pu naître et se développer sans que le personnel chargé de la surveillance en ait eu vent.
     4. L'examen attentif de la disposition des foyers et de leurs voies naturelles de propagation suggère de manière évidente que les incendiaires visaient en réalité un secteur déterminé de la prison. C'est d'ailleurs dans cet endroit – appelé "quartier de sécurité" – que nous avons relevé la quasi totalité des victimes. Tous mes officiers présents sur les lieux s'accordent à penser que "si on avait cherché à les griller, on ne s'y serait pas pris différemment" (pour reprendre l'expression de l'un d'entre eux).
     5. Enfin, j'ai la conviction que l'efficacité des secours aurait pu être largement accrue, et le bilan notablement allégé, si l'ensemble des mesures et procédures réglementaires à appliquer en cas d'incendie avait été scrupuleusement respecté par le personnel de la maison d'arrêt. En particulier, les conditions dans lesquelles l'évacuation des détenus a été conduite appellent de ma part les plus grandes réserves et jettent un doute sur les capacités de l'encadrement de cet établissement.
     Bien entendu, l'ensemble du dossier d'expertise vous sera présenté dès que nous aurons terminé nos investigations, d'ici cinq à six semaines. Cependant, les faits ci-dessus m'ont paru suffisamment établis et suffisamment graves pour justifier ce courrier, dont j'assume l'entière responsabilité.
     Veuillez agréer, monsieur le juge, l'expression de ma parfaite considération.

 

PIECE NUMERO 11

ORIGINE : Chrono du service

Extrait des Dernières Nouvelles d'Alsace, 2/4/37
Le "suicidé" inconnu était le professeur Ballin, Prix Nobel de médecine

     Les enquêteurs ont pu établir l'identité du cadavre découvert la semaine dernière dans un hôtel borgne de Strasbourg. Il s'agit du professeur Hugues Ballin, Prix Nobel de médecine, qu'on croyait décédé depuis près de vingt ans.
     Né en 1961, Hugues Ballin a été, sans conteste, l'un des cerveaux les plus féconds de notre siècle. Biologiste de génie, il réalisa en 1993 la première gestation in vitro complète d'un être humain, exploit qui ouvrit de nombreuses voies fécondes à la médecine moderne et valut à son auteur le prix Nobel et l'élection à l'Académie des sciences.
     Aussi entreprenant en affaires que brillant dans ses travaux scientifiques, il créa en 1994 la première société au monde spécialisée dans la production de clones, Reproductique SA, posant ainsi les fondements de la suprématie européenne dans ce secteur de pointe. A ce titre notre région – qui tire de cette activité une part non négligeable de ses revenus – lui doit une particulière reconnaissance.
     Après sa retraite, il publia un roman, "Les nefs du salut", qui ne connut pas les faveurs du public. Ce fut le seul échec de sa vie.
     Peu après, il disparut inexplicablement et , depuis cette date, sa famille était restée sans nouvelles.
     La réapparition du grand savant, dans des circonstances aussi tragiques, ne manquera pas de stimuler la curiosité des enquêteurs. Pour quelles raisons Hugues Ballin avait-il disparu? Qu'a-t-il fait durant ces vingt années? Sa mort brutale a-t-elle un rapport quelconque avec ses activités clandestines? Qui était-il venu rencontrer à Strasbourg la semaine dernière? Notons à cet égard que la fille du savant, Mme Agnès Vergès-Ballin, dirige près de Strasbourg le principal centre de production de clones d'Europe.
     Les enquêteurs semblent avoir écarté l'hypothèse d'un suicide, que suggérait la présence d'un revolver 357 Magnum dans la main du cadavre. Selon eux, "on trouve plus souvent ce genre d'arme entre les mains d'un professionnel que dans celles d'un citoyen ordinaire, même candidat au suicide". De plus, la balle mortelle semble avoir pénétré dans la région occipitale, c'est-à-dire près de la nuque.
     Hugues Ballin était commandeur de la Légion d'honneur et grand officier dans l'Ordre du mérite.

 

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