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Le retour du Golem ou que faire des embryons ?
par Henri SMOLARSKI


     Si les Justes le voulaient, ils pourraient créer un monde disent nos maîtres. La tradition ajoute que des Sages ne se sont pas privés de créer, par magie, dit-on, et en invoquant les noms divins, un Golem, un être qui est homme sans être homme, serviteur inquiétant plein de vitalité, mais sans néfech ni roua'h, sans âme ni esprit.

     Dans Sanhédrin 65b, Rava, un maître, a fabriqué son Golem et l'a dépêché auprès de rav Zéra qui s'en est moqué. Il est muet, ton Golem. Car la parole fait l'homme.

     Elya, rav de 'Helm, rav Zvi Hirsch Achkenazi et rav Jacob Emden ont posé une question essentielle. Ce Golem dont le front est marqué du signe Emeth, vérité, peut-il faire partie de la prière de la communauté, du minyane ? Non, ont-ils répondu.

     Le mythe fait de rav Juda Loev ben Bezalel du Prague de la Renaissance, le créateur du plus légendaire, du plus menaçant des Golems. Survivant dans le roman de Meyrinck et dans le cinéma allemand d'avant-guerre, ce Golem, ni homme, ni animal est si menaçant que son maître est obligé de le renvoyer à la poussière lorsqu'il devient péril mortel pour les habitants de la ville. Sans référence au Golem juif, Jean-Michel Truong dans "Reproduction Interdite" (Olivier 0rban), un roman de science-fiction passionnant, haletant, imagine que d'ici un demi-siècle, et sans doute même avant quinze ans, me dit son auteur, l'industrie pourra, à partir d'embryons démultipliés, fabriquer un nombre infini d'humains du type qui conviendra. Des Golems comme vous et moi, des jumeaux avec un coeur et une sensibilité. Mais qui ne seront pas lâchés dans la nature comme les humains nés selon les voies millénaires.

     Stockés, manipulés, élevés, congelés, ils seront une sous-humanité, une réserve à l'usage de la race des seigneurs que nous sommes. Au Choix, ils serviront de main-d’oeuvre quasi-gratuite, ou d'objets sexuels, ou de pièces de rechange. Votre enfant accidenté a besoin d’un rein ou même d'un membre de rechange, le clone ou son double depuis sa naissance est là à son service. On ira le quérir dans l'une des réserves ou camps de concentration dont le romancier rappelle le précédent nazi.

     Jean-Michel Truong est effrayé par cette vision. Ce qu'on fait aujourd'hui pour les veaux à partir d'embryons, on pourra le tenter et le réussir en fabriquant à partir des embryons de l'homme des êtres que l'on appellera clones pour n'avoir pas à les appeler hommes ou femmes.

     Il est convaincu que pour des raisons de profit ou de domination, on refusera de reconnaître à ces clones le bénéfice des déclarations des Droits de l'homme. Comme on l'a refusé dans l'histoire aux nègres, aux juifs, aux Indiens et à ceux qui pensent, dit-on, de travers... Les clones sont encore au royaume de nos fantasmes et nul Beth-Din ne doit résoudre d'urgence la question de savoir si un embryon issu d'une mère juive, puis manipulé, congelé, stocké, pourra un jour être considéré comme un clone juif.

     La sorcière, dit la Tora, ne doit pas être laissée en vie - pas pour des raisons futiles, sinon grotesques - pour lesquelles au moyen-âge de malheureuses créatures innocentes furent brûlées vives par l'Eglise. Si la sorcière doit périr, c'est, disent les commentateurs, en raison des manipulations génétiques qu elle pourrait entreprendre.

     Selon le Gaon de Vilna, rabbi 'Hayyim de Volojine voulant fabriquer un Golem eut une vision si troublante qu'il renonça à son projet.

     Mais une malédiction suffit-elle à conjurer l'avenir? Incessamment, le Comité National d'Ethique doit se prononcer sur le sort à, réserver aux près de quatre mille embryons congelés en surnombre et dont la conservation coûte et embarrasse.

     Il s'agit d'embryons congelés depuis des années, dit un papier du "Monde" (27.1.89 - Frank Nouchi et Henri Tincq), sur requête de couples qui, suivant les besoins, les chances ou les opportunités, envisageaient des fécondations in vitro.

     Qu'en faire ? Quatre choix apparaissent. Les renvoyer à leurs expéditeurs pour usage conforme, permettre à des couples stériles de donner la vie, réserver ces embryons pour des expériences scientifiques ou plus simplement les jeter.

     Le père Patrick Verspieren, jésuite représentant l'Eglise catholique au Comité National d'Ethique et qui hier s'élevait contre l'avortement, est partisan aujourd'hui de supprimer les embryons en surnombre. "Il s'agit de prendre acte de l'impasse dans laquelle on se trouve, de décongeler les embryons et de laisser s'éteindre leur vie", dit-il.

     Impasse est le moi le plus important. La manipulation des embryons peut en effet aboutir à des situations délirantes, encore que Jean-Michel Truong, catholique, estime que l'embryon est commencement de vie humaine, respectable comme toute vie humaine, et qu'une adoption par un couple stérile serait une solution.

     Mais, que l'embryon soit vu comme étant déjà un enfant en formation ou un germe pas plus important qu'un spermatozoïde, on s'aperçoit avec stupéfaction que la saison des embryons congelés annonce la saison des clones et du Golem, terrifiant miroir de nos sorcelleries.

Henri SMOLARSKI

© La Tribune Juive, 8 février 1989

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