Eternity Express
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Train de vie pour l'enfer
par Frédéric Grolleau

Plaisir toujours reconduit et jamais démenti (pour l´instant !) que de retrouver, avec à chaque fois un livre fracassant, Jean-Michel Truong. D´autant qu´avec Eternity express, l´auteur nous invite ensuivre en caméra subjective un héros moins propre sur lui que ceux de ses précédents ouvrages. S´il y avait bien en effet des êtres intègres et des traîtres à la cause (humaine) dans Reproduction interdite et Le Successeur de pierre, il semble que ce roman-ci fasse une place plus large au scepticisme sinon au désespoir pur et simple quant à l´avenir de la population humaine sur notre bonne vieille Terre. Ces cris d´alarme impeccablement documentés qui font le sel de ses romans, on a l´habitude les lire avec une felix culpa sous la plume de Truong. Encore cet Eternity express, moins épais que les précédents, est-il plus radical, plus extrême à sa manière. Les épigones de l´auteur ne manqueront pas d´y voir une synthèse de son sens de l´anticipation et de ses thèses d´essayiste (Totalement inhumaine) Car, question du clonage, logique de la survie de l´esprit, éternel combat de la forme et de la matière, hantise de la corruption, délire de l´imagination et zeste de spiritualité chinoise, c´est bien de tout cela qu´il s´agit dans ce livre.

L´histoire, a-t-on envie d´écrire, en est des plus simples. De cette simplicité qui dans bien des cas, notre Histoire l´atteste à maint égard, confine à la tragédie. Un train emmène depuis Paris vers la Chine, à destination de Cliffort Estates, les papyboomers de la " Bubble-generation " de l´après-guerre que L´Europe n´est plus en mesure de prendre en charge. A cause d´une démographie galopante et de la folie dot-com des venture-capitalists qui a mis à bas l´économie occidentale, l´Union européenne s´est en effet vue contrainte au début des années 2000 à voter la " loi de "délocalisation du troisième âge", laquelle emmène derechef nos anciens dans le pays d´accueil chargé de leur garantir à des prix abordables les meilleurs traitements possibles. Utopie entre toutes ou panacée palliative au business plan implacable, la ville chinoise de Clifford Estates est le terminus d´un voyage imposé à des parents-surplus par leurs propres enfants, et dont le menu quotidien nous est présenté par les yeux de Jonathan Bronstein, docteur ayant anticipé avant tous la manne céleste des thérapies anti-viellissement et exploité au possible la hantise de la mort chez ses concitoyens.

 Au coeur de ce thriller entre Runaway train et Soleil vert, le scandale de l´Eternity rush, start-up ayant émergé en pleine folie de la net économie et qui promettait à chacun " l´élixir de jouvence " à même de déjouer les griffes de la mort… énième " pompe à fric " dont Truong démonte avec un plaisir évident les rouages, pour autant qu´il ne fait jamais qu´extrapoler ici sur les terres du roman ce qu´il a avancé de manière pragmatique dans son dernier essai. Comme on s´en doute, et c´est tout l´intérêt de cet opus que de résider moins dans un intenable suspense crescendo que dans son décryptage à rebours, ce voyage - sans retour - est un chemin (ferré) de croix mais aux calvaires soigneusement dissimulés. De fait, on a l´impression que l´écriture de Truong se fait de plus en plus cinématographique au fil des romans et il qu´il y a un peu de l´ombre, moite et glauque, du train de l´ Europa de Lars von Trier dans cet Express, que rythment par contraste les fulgurances nostalgiques (au sens propre) de la Prose du Transsibérien d´un Blaise Cendrars. Et l´auteur de gratter là où ça fait mal : la supposée " tradition chrétienne et humaniste de l´Europe ", le pouvoir rmacroéconomique de la médecine high tech.

Quand expropriation avalisée et déportation banalisée riment avec l´ultime stratégie des " derniers humanistes d´une ère inhumaine ", vous êtes embarqués dans un train pour l´enfer qui rappelle la triste propension des hommes , invariablement, à répéter ce qui les détruit. C´est là un secret de Polichinelle ? Alors ça tombe bien car avec Eternity express, on connaît désormais le nom de la ville-Potemkine où ce dernier habite.

Frédéric Grolleau

© L'Idéaliste littéraire, 2003

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