Ce
n'est pas l'idée du mois, mais du millénaire
: pour J.-M. Truong, l'homme est une crevette téléguidée
par l'intelligence artificielle.
La guerre d'Afghanistan ? Laissez-nous
rire. C'est l'une des dernières guerres ringardes
de la planète. Une vraie mise à mort est
à l'oeuvre, bien plus terrifiante, celle de l'humanité
toute entière par un hyperterroriste doté
de superstructures hypertechnologiques. Actuellement,
le grand complot est souterrain. Mais patience, le processus
va s'emballer telle une machine monstrueuse et irréversible.
L'ennemi s'appelle l'intelligence artificielle (IA). Selon
Jean-Michel Truong, cette intelligence, qu'il nomme dans
son essai passionnant le Successeur, est en train de nous
posséder. Une glu psychique nous manipule et nous
conduit au gouffre.
Le Successeur
Notre existence humaine est comptée,
rappelle Truong. Cinq à dix millions d'années,
selon les biologistes. Espèce biologiquement foutue.
Mais une autre vie est en train de s'organiser. Après
tout, avant l'ADN, il y eut une autre vie, celle du minéral.
Va advenir le Successeur, l'IA, que les hommes sont en
train de promouvoir à leur insu. Entité
à base d'e-gènes et de milliards de connexions
qui survivra à l'explosion de la Terre. L'IA s'appuie
sur les nouvelles technologies pour se faire des muscles.
Et elle est vorace : de la guerre des étoiles de
Reagan au néolibéralisme mondial en passant
par les ressources de la net-économie, du téléphone
mobile, de la mise en réseau des logiciels, toutes
ces décisions «logiques», économiques,
politiques et humaines constituent autant d'aimables trompe
couillons. C'est L'IA qui nous a poussés à
prendre toutes ces décisions que l'on pense «
souveraines », démontre Truong. Avec Internet,
par exemple, le Successeur s'est découvert une
débauche sexuelle d'enfer : « Internet
ne permit pas seulement au Successeur de se répandre
universellement, il le fit prospérer. Plus ses
e-gènes circulaient, plus il captait de ressources.
» Le néo-libéralisme mondial en expansion
dans les années 1990 constitue également
un grand collabo du Successeur. « On troqua des
employés de bureau exprimés en kilogrammes
contre des ordinateurs exprimés en kilobits. Ces
dignes négociants en graisse humaine firent si
bien qu'en 1995, on estimait que les Etats-Unis avaient
déjà, à eux seuls, enfourné
un total de quatre milliards de dollars dans gueule béante
du nouveau moloch. » Mais comment les humains
sont-ils abusés à ce point ? Parce que nous
sommes devenus comme des Gammarus lacustris, ces
crevettes de mare manipulées par le Polymorphus
paradoxus, un ver parasite logé dans leur tête.
Peinarde au fond de l'étang, la crevette échappe
à son prédateur, le canard. Le ver parasite,
lui, une fois développé, cherche à
gagner la terre ferme. Comment peut-il pousser la crevette
à aller se suicider ? En lui opacifiant la cornée
avec un venin et en la poussant vers la lumière.
Le Successeur nous conduit carrément au suicide
avec le «Mème» : une construction mentale
repérée par les neurobiologistes, qui altère
la perception comme une idéologie hallucinogène
et contamine les cerveaux.
Autoreproduction
Illuminé et paranoïaque,
Jean-Michel Truong ? L'auteur est psychologue et philosophe
de formation, spécialiste des systèmes experts
et de l'intelligence artificielle et, à ses heures,
talentueux romancier d'essais de science-fiction. Son
idée fait écho au texte alarmiste (et alarmant)
de Bill Joy, publié en avril dernier dans le magazine
américain Wired. Il n'y va pas par quatre
chemins : «Les technologies les plus incontournables
du XXIème siècle - robotique, génie
génétique et nanotechnologies - représentent
pour l'espèce humaine une menace sans pareille.
Elles sont porteuses d'une puissance telle qu'elles sont
capables d'engendrer toutes sortes d'accidents et d'abus
totalement inédits. Concrètement, les robots,
les organismes génétiquement modifiés
et les "nanoréseaux " ont la capacité
de s'autoreproduire. Si une bombe nucléaire n'explose
qu'une fois, un robot peut proliférer et échapper
à tout contrôle. » Bons baisers
du Successeur.
Emmanuel Lemieux
© Le Vrai, numéro
17, janvier 2002, page 88
retour
à la page Critiques Médias
|
|