Totalement inhumaine
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Dieu trouve-t-il l'homme dépassé ?
par Jacques Braunstein

 

DIEU TROUVE-T-IL L'HOMME DÉPASSÉ ?

Psychologue et philosophe de formation, Jean-Michel Truong écrit des livres de science-fiction. Créations barrées ou visions prémonitoires ? Interview.

Grave question : pourquoi l'église catholique a toujours semblé "choisir avec obstination l'autorité contre la justice, les institutions contre les individus, les tyrans contre les révolutions, l'impérialisme contre le tiers-monde, la bourgeoisie contre le prolétariat, le capital contre le travail, le libéralisme contre la liberté" ? Oui, pourquoi ? Jean-Michel Truong répond dans ses livres. Dans le Successeur de pierre, un pape du futur affirme : "Peu importait la surpopulation et ses conséquences dramatiques - violences, famines, épidémies, exodes massifs de population -, l'essentiel pour nous était de préserver un pool génétique assez nombreux et diversifié pour être indestructible."

Ce roman SF prend pour argument la découverte d'un manuscrit caché, la bulle de Pierre, qui intime aux papes l'ordre de favoriser le développement anarchique de la vie pour que, l'heure venue, l'homme soit à même de passer le témoin à la machine intelligente, son "successeur de pierre" chargé de faire perdurer la vie à la mort du soleil. D'où une nouvelle question : Jean-Michel Truong - psychologue et philosophe de formation, fondateur de Cognitech, la première boîte européenne à travailler sur l'intelligence artificielle au début des années 80 - abuse-t-il de cônes qui font partir en vrille ? Non : il fait la part entre la fiction et la science. Dans Totalement inhumaine, il étaye sa réflexion par un appareil critique de plus de deux cents références bibliographiques qui vont de Nietzsche à Bourdieu et des biologistes Darwin et Dawkins aux mathématiciens Turing et Von Neumann... N'en jette plus, Jean-Michel : la chose a l'air sérieuse, on t'interviewe.

PAS "TERMINATOR", "MATRIX"

"L'idée que l'on pourra cloner le cerveau humain sur une machine (comme l'imaginaient Husserl et Wittgenstein) est une illusion... L'intelligence naît de la vie, c'est un processus long qui amènera la vie artificielle à forger sa propre intelligence. Elle n'aura que très peu de points communs avec la nôtre. Depuis la Seconde Guerre mondiale et l'invention des premiers calculateurs automatiques, la vie artificielle se développe. Les choses se sont emballées avec l'apparition d'Internet qui offre aux morceaux de programmes informatiques (les e-gènes) la possibilité d'une sexualité, c'est-à-dire de ne plus simplement se copier, mais de transiter de machine en machine, de se métisser, de muter d'une génération à l'autre. Ce processus accouchera à terme d'une intelligence artificielle. Non pas de machines intelligentes, mais d'une Créature dont les machines interconnectées (ordinateurs, serveurs, robots...) seront l'habitat naturel."
Pour autant, Truong réfute les scénarios catastrophes à la Terminator. "Cette Créature, ce Successeur, n'aura pas de ressentiment pour l'homme, l'homme lui est indifférent. Il veut, au pire, le chepteliser (comme dans Matrix, NDLR). Au mieux, vivre en symbiose avec lui." A moitié rassuré, on s'interroge : peut-on lutter contre ? Refuser l'idée d'un Successeur ? "Difficile, répond Truong, c'est comme de lutter contre un virus qui mute en permanence pour survivre."

"COOPÉRATION, RÉCIPROCITÉ, PARDON"

Jean-Michel Truong pense que l'intelligence artificielle va coopérer avec l'humanité : " Dans Comment réussir dans un monde d'égoïstes, l'économiste Richard H. Axelrod démontre que la coopération est un mode d'interaction plus efficace que tous les autres. Ayant fait s'affronter des "agents intelligents" dans de gros ordinateurs, il a démontré que ceux qui appliquaient les principes "Coopération, réciprocité, pardon" sortaient systématiquement vainqueurs de ces tournois."
Ces principes, tout individu peut les faire siens : "Lorsque je rencontre un autre agent, je lui propose la coopération. S'il refuse, je calque mon comportement sur le sien (réciprocité), si je le rencontre à nouveau, je lui repropose la coopération malgré son refus précédent (pardon)." Malheureusement, pour s'y tenir, il faut ne pas savoir quand la partie prend fin. Autant les organisations (entreprises, États, gouvernements, entités supranationales) fonctionnent comme si la partie était sans fin, autant les individus ont la tentation d'une vision à court terme des enjeux qui les préoccupent. Et Truong de prendre des accents houellebecquiens lorsqu'il oppose la coalition des institutions (FMI, OCDE...) à l'oeuvre parallèlement à la dislocation des liens individuels.
Répétons-le, Jean-Michel Truong est un scientifique, un observateur. Loin de lui l'intention de fonder une nouvelle religion. C'est même à cause des nombreux lecteurs du Successeur de pierre qui avaient cru reconnaître l'auteur sous le personnage de Nitchy (pape du futur oeuvrant pour l'avènement de la Créature) qu'il a décidé d'écrire Totalement inhumaine, où il affirme plus clairement son matérialisme méthodologique. En dessinant le futur plausible de l'humanité, Jean-Michel Truong pose des questions à toutes les églises existantes."

Jacques Braunstein

© Technikart n° 57, novembre 2001, pages 112 et 113

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